
Depuis la parution de cette entrevue, nous avons malheureusement perdu notre ami Patrice, un homme d’exception que nous regretterons longtemps…
L’art de NE PAS ignorer les pauvres…
Je connais Patrice depuis plus de 20 ans. Je l’ai rencontré, à l’époque, par l’entremise d’un ami commun et membre de nos deux conseils d’administration. Patrice dirigeait alors l’organisme de réinsertion sociale Le Boulot vers et moi, l’Orchestre de chambre I Musici de Montréal. Nous avons produit des évènements bénéfices communs et travaillé à changer le monde avec une belle énergie et candeur qui, aujourd’hui encore, nous réunit à nouveau. J’avais envie de vous le présenter car c’est un être d’exception, qui incarne à lui seul ce que Ghandi prêchait : « Nous devons être le changement que nous souhaitons dans le monde ». Je voulais aussi lui donner la parole dans le cadre de notre grande plateforme Générosité et littérature au Festival Metropolis bleu 2015. Volubile comme pas un, Patrice ne dit jamais un mot de trop et chacune de ses phrases a sa raison d’être mais ne vous avisez pas de vous lancer dans un débat sur les valeurs sociales avec lui ! Quand il s’agit de lutter contre la pauvreté et l’exclusion, il ne recule devant rien. Patrice est certainement la personne la plus convaincue et l’être le plus persévérant que j’ai rencontré. Conseiller de plusieurs grands sages, dont des ministres et de grands mécènes, il est aussi intensément actif sur le terrain dans les quartiers d’intervention de Paroles d’ExcluEs à savoir Hochelaga-Maisonneuve et Montréal Nord.
MISSION DE PAROLES D’EXCLUES[…] LA MOBILISATION FACE À L’EXCLUSION DOIT POUVOIR ÊTRE PORTÉE EN PREMIER LIEU PAR CELLES ET CEUX QUI SUBISSENT DE PLEIN FOUET LA PRIVATION DE LEURS DROITS FONDAMENTAUX. MAIS IL S’AGIT AUSSI D’UNE RESPONSABILITÉ COLLECTIVE. TOUS LES ACTEURS DE LA SOCIÉTÉ SONT CONCERNÉS. PAROLE D’EXCLUES CONÇOIT SON ACTION GRÂCE À DES ALLIANCES AVEC DES PARTENAIRES QUI PARTAGENT SES VALEURS ET SES OBJECTIFS.SOURCE: HTTP://PAROLE-DEXCLUES.CA/ |
Lorsque la vie a voulu que nos chemins se croisent par hasard il y a quelques mois, je cherchais des alliés dans ce projet aussi grandiose qu’étrange de parler de générosité dans le cadre d’un festival international de littérature. Les mélanges étonnants et les combinaisons gagnantes lui sont familiers et d’entrée de jeu Patrice m’a parlé d’un essai qu’il venait de lire : « L’Art d’ignorer les pauvres ». Je lui ai demandé de répondre à trois questions que voici…
Comment et pourquoi cet essai a retenu ton attention et servira d’inspiration à la création d’un spectacle littéraire citoyen en 2015 ?
P.R.: En refermant ce petit livre, j’ai été frappé par deux dimensions majeures de l’article de John K. Galbraith :
– Comment, de génération en génération, nous avons construit un discours en occident, justifiant la pauvreté et faisant des pauvres les responsables de leur situation, d’où le fait qu’on laisse les inégalités se reproduire ;
– Les élites intellectuelles qui, à chaque époque, de la Bible à nous jours, ont élaboré ce discours, ne se sont jamais préoccupées de la vision ou la conception de la pauvreté, telles que vécues et perçues par les premiers concernés.
J’ai immédiatement imaginé une pièce de théâtre sous forme de tableaux, où défileraient Moïse, Malthus, Rockefeller, et les autres, exposant leurs thèses. Dans cette pièce, à la fois dramatique par son propos et drôle par son traitement, il manquait un tableau ; celui de celles et ceux qui vivent dans la pauvreté, exprimant leur point de vue. C’est ainsi que j’ai pensé à une écriture collective d’une pièce de théâtre avec des personnes vivant la pauvreté, réécriture qui impliquerait à la fois de revisiter l’histoire et de permettre l’expression de leur vision d’un monde qui se construirait sans pauvreté ni exclusion sociale.
Le slogan de Metropolis bleu étant « Le pouvoir des mots », j’aimerais que tu nous expliques pourquoi les mots, donc la parole, sont le point de départ d’une prise en charge personnelle des personnes exclues et marginalisées par la pauvreté ?
P.R.: Un chercheur avec qui nous collaborons depuis des années, faisait remarquer lors d’une rencontre que le plus important, selon lui, dans Parole d’excluEs, était le mot parole. En effet, et c’’est bien pour cela que nous avons retenu ce nom pour l’organisation. Avec la prise de parole, surtout lorsqu’elle est partagée entre personnes vivant une condition semblable, qu’elle est facilitée dans un lieu adéquat et encouragée, peut se créer une prise de conscience. Le fait de constater que l’on partage les mêmes difficultés, permet de dépersonnaliser le problème et de déculpabiliser les personnes qui se font souvent dire ou laisser entendre que ce qui leur arrive est de leur faute. Partant de cette prise de conscience, il est plus aisé de chercher et de nommer les causes du problème et d’agir. On peut ainsi s’attaquer à la racine et plus seulement aux manifestations. On change de registre, pour passer ainsi à une action radicale, dans le sens premier du mot latin, radicalis, qui signifiait de la racine, premier, fondamental. Ainsi, la prise de parole, telle que nous la mettons au cœur de notre action, permet d’agir à la racine du vécu de pauvreté et d’exclusion sociale.
Patrice, il y a-t-il un ou des livres qui ont changé ta vie ou alors qui sont arrivés dans ta vie à un moment de doute où tu as pensé cessé de lutter pour les exclus ?
P.R.:Un des premiers livres que j’ai lu, enfant, était L’histoire merveilleuse d’Albert Schweitzer, dans la collection Rouge et Or. Cela m’a beaucoup impressionné. D’abord parce que je découvrais l’existence de l’Afrique, à travers cette histoire. Et puis, la description de la vie de ce docteur qui se consacrait à soigner les lépreux me révéla un mode de vie que je ne connaissais pas, loin de mon quotidien à tous points de vue. Ce livre allait me marquer pour longtemps, puisqu’à l’adolescence, je rêvais de partir faire de la coopération dans le Tiers-Monde. Beaucoup plus tard, j’allais être impressionné par la lecture d’Ernesto Guevara connu aussi comme le CHE, de Paro Ignacio Taibo II. À travers la vie de ce révolutionnaire, mort au bout de son rêve impossible, je découvrais à quel point, il avait donné tout ce qu’il avait, et même ce qu’il n’avait pas, la santé, en faisant passer son rêve d’un monde idéal par-dessus toute considération personnelle. Mon troisième livre est le livre de la vie. Celui que nous écrivons tous les jours, la plupart du temps sans en être conscient. Nous participons tous à l’écriture de notre monde, par notre inaction ou notre mouvement. Notre inaction fait en sorte que les choses continuent telles qu’elles sont. Notre mise en mouvement facilite le changement car, comme le disait ce grand homme de théâtre, que fut Bertold Brecht : Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu.
Les livres cités dans cet article :