
La Bibliothèque idéale de Christiane Taubira
Christiane Taubira lit toutes les nuits. Elle l’a affirmé récemment, sur le ton d’une joyeuse évidence, au cours de l’entretien qui accompagnait la remise du prix Anthony-Atkinson pour l’égalité décerné par le Festival littéraire international Metropolis bleu, en partenariat avec l’Observatoire québécois des inégalités. Cela se passait en ligne, depuis Montréal, le 17 novembre 2020. La femme politique française, ancienne Garde des sceaux, ancienne ministre de la justice, et qu’une rumeur veut présidentiable à l’élection présidentielle de 2022, recevait ce prix pour avoir contribué de manière significative, par ses écrits et ses engagements, au débat public sur les inégalités économiques et sociales, y compris, comme le veut le libellé du Prix, en proposant des solutions pour les réduire.
Lire toutes les nuits? On la croit volontiers. Christiane Taubira vit dans l’action. Mais on dirait bien que la lecture lui importe tout autant, et parions que celle-ci nourrit celle-là. Tous ceux qui disent ne pas trouver le temps de lire, ce qui s’appelle lire, c’est-à-dire de vrais livres, de bons livres, se paient de mots devant un tel appétit de lecture. C’est qu’on trouve toujours le temps de lire quand la lecture correspond à un besoin vital.
La remise du Prix Anthony-Atkinson à Christiane Taubira s’est accompagnée d’un entretien, dans un premier temps avec l’historien Webster, sur des sujets à caractère social et historique; dans un second temps, j’ai posé quelques questions d’ordre littéraire, en donnant une variante au fameux questionnaire de Proust – vous savez, ce jeu venu de l’Angleterre victorienne par quoi un individu se révèle en répondant à quelques questions brèves, par exemple sur sa couleur ou sur son plat préféré.
Avec Christiane Taubira, j’ai cherché à dessiner les contours d’une bibliothèque idéale à destination des jeunes gens. Ce public cible s’imposait puisque le Prix était remis dans un cadre universitaire, en partenariat avec le CERIUM – Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal. Mon questionnaire de Proust nouvelle manière lui demandait ainsi quels auteurs ou quels livres faudrait-il avoir lu pour se former l’esprit, pour apprendre à vivre, pour affronter le monde tel qu’il va ou mieux encore : le changer.
On trouvera ci-dessous mes questions (que je ne lui avais pas communiquées à l’avance) et les réponses de Christiane Taubira qui ont fusé, avec des commentaires. J’en repique quelques-uns au passage. Je précise aussi, entre parenthèses, le pays d’attache des écrivains cités.
Pour sa part, Christiane Taubira a écrit onze ouvrages, des essais pour la plupart, des récits, des réflexions. Dans Baroque Sarabande (Philippe Rey, 2018), elle a évoqué tout ce qu’elle doit à la littérature. Depuis la parution de ce livre, sa bibliothèque personnelle, aussi bien dire sa bibliothèque de cœur et d’esprit, s’est certainement enrichie de nouveaux titres. L’ouvrage le plus connu de Christiane Taubira est L’esclavage racontée à ma fille (Philippe Rey, 2002). Son plus récent est un roman : Gran Balan (Plon, 2020).
Quels livres ou auteurs faut-il avoir lu si on veut faire de la politique?
«Il faut avoir lu les auteurs qui parlent d’injustice.»
Toni Morrison (USA)
Yaşar Kemal (Turquie)
Jacques Roumain (Haïti)
Gabriel Garcia Marquez (Colombie)
Chinua Achebe (Niger)
André Brink (Afrique du Sud)
Sindiwe Magona (Afrique du Sud), en particulier Mother to Mother (Mère à mère, Mémoire d’encrier)
Quel livre ou quel auteur vaut-il mieux avoir lu quand l’amour vous tombe dessus?
Jorge Amado (Brésil)
Zora Neale Hurston (USA)
Milan Kundera (France/Tchécoslovaquie), en particulier L’insoutenable légèreté de l’être (Gallimard)
Quel livre ou quel auteur faut-il lire quand le moral est au plus bas?
«Quand le moral baisse, je ne lis pas des livres forcément joyeux, mais des livres denses.»
Richard Powers (USA)
Toni Morrisson (USA), lue dans tous les états d’esprit
Érri de Luca (Italie)
Quel livre ou quel auteur faut-il avoir lu si on ambitionne de changer le monde?
«Il faut faire attention, car il y a des idéaux qui littérairement sont très beaux, mais qui finissent par devenir inhumains, parce qu’ils veulent faire le bonheur des gens malgré eux. Pour cette raison, il faut lire des poètes, des gens sensibles.»
Mahmoud Darwich (Palestine).
«Malgré la tragédie de la Palestine, il est sans rancoeur, il montre une lucidité qui jamais ne s’obscurcit. Si je veux être sûre qu’il faut chercher en soi et regarder avec les autres comment on peut transformer le monde pour le rendre plus juste, plus fraternel, plus amical, oui, je vais lire des gens comme Darwich.»
Quel livre ou quel auteur faut-il lire pour apprendre à penser contre soi, parfois?
«Les philosophes! Spinoza nous oblige à penser profondément, entre les dogmes, avec le courage en plus de la pratique réelle. Montaigne, d’une certaine façon aussi. En Afrique, Suleymane Bachir Diagne. Il y a aussi de jeunes philosophes, qui expliquent le monde, parce que, quand on comprend le monde on peut se méfier de soi. Je pense à Achille Mbembe.»
Quel livre vous a donné le plus grand bonheur de lecture de votre vie de lectrice?
«C’est impossible de répondre à cela! Je lis depuis que j’ai 7 ans, 8 ans, 9 ans! Je lis toutes les nuits. J’ai toutes sortes de bonheur de lecture. Mais bon, j’ai envie de mettre en valeur quelques écrivaines contemporaines.»
Yaa Gyasi (USA/Ghana)
Chimamanda Ngozi Adichie (Niger)
Brit Bennett (USA)
«Ce sont des filles qui promettent, elles suivent bien les Toni Morisson (USA), Toni Cade (USA) Bambara, Maya Angelou (USA)»
Pour revoir l’intégralité de l’entretien, réalisé dans le cadre de la remise du Prix Anthony-Atkinson pour l’égalité, le 17 novembre 2020 :