
Des livres pour mieux comprendre notre monde
Par LINDA AMYOT
Dans notre bibliothèque familiale, lorsque j’étais enfant, s’alignaient quelques romans, plusieurs dictionnaires, de nombreuses bandes dessinées et, surtout, des documentaires. Je me rappelle, entre autres, d’une collection de livres scientifiques et une autre, encore plus vaste, sur les pays du monde. Grand voyageur qui a pourtant passé sa vie entre sa maison en ville et son chalet au bord du lac, mon père savait ainsi un tas de choses sur l’Uruguay ou le Bhoutan. Lorsque, adolescente, j’ai refermé le dernier Astérix de la collection, je me suis lancée dans ces documentaires en alternance avec les premiers romans que j’achetais avec mon argent de poche. Aujourd’hui, ces ouvrages souvent magnifiquement illustrés sur les oiseaux, la flore, les peintres, les maisons, les pays et autres sujets occupent toujours une place importante sur les étagères de ma bibliothèque.
Les générations actuelles ont-elles encore besoin des documentaires quand quelques clics sur Google leur fournissent une foule d’information sur les légumes racines ou les barrages hydroélectriques? La quantité, la qualité et la diversité des ouvrages destinés aux jeunes, des tout-petits jusqu’aux ados, nous en convainquent. Allez jeter un coup d’œil sur les titres recensés sous la thématique Documentaire du site des Libraires! Sans parler de magazines tels que Curium, Les explorateurs ou Les débrouillards. Les maisons d’édition proposent de fort belles collections et nombre d’auteurs signent des ouvrages adaptés à l’âge des lecteurs, tels que Ma mini-encyclopédie (Méga Éditions)de Nathalie Ferraris, La Gaspésie (Québec Amérique) d’Émilie Rivard, C’est quoi un réfugié? (La courte échelle), Pollution plastique (Isatis) d’Andrée Poulin, la série des Neurones Atomiques de Martin et Stéphane Brouillard chez MultiMondes, Pourquoi les filles ont mal au ventre? (Isatis) de Lucille de Pesloüan ou encore La détermination de Viola Desmond (Scholastic) de Jody Nyasha Warner.
Les documentaires permettent de découvrir et d’apprendre. Ils favorisent également la sensibilisation et la réflexion sur des réalités qui interpellent enfants et ados. Le tout récent album de l’auteure et artiste peintre Francesca Trop s’inscrit dans cette même veine de livres traitant d’enjeux de société déterminants. Je m’y attarde, car il aborde le thème de la justice, pourtant vaste et complexe, de façon simple et novatrice. Ces grands procès qui ont changé le monde (Les éditions du passage) propose une vision du rôle du système de la justice dans l’évolution de nos sociétés à travers 24 grands procès mythiques, historiques et contemporains. Divisé en trois parties – D’où viennent les règles? Qu’est-ce qui est juste? et Des droits pour qui? – le livre offre ainsi une plongée dans les notions du bien et du mal, les assises religieuses des principaux systèmes de justice, les droits des individus et ceux des collectivités, les causes et le contexte de ces procès et les changements qu’ils ont apportés dans la liberté de conscience, le combat pour l’abolition de l’esclavage, la reconnaissance des droits des enfants, la punition des crimes de guerre, etc.
Membre du barreau du Québec, Francesca Trop a mené une carrière d’avocate en droit du divertissement et de la propriété intellectuelle au Canada et en France pendant quinze ans avant de s’immerger dans son autre passion : la peinture. Elle se lance d’abord dans une série de toiles sur le monde de la justice vu de l’intérieur. Ce travail lui donne envie de « mieux comprendre les origines du système de droit occidental ». Elle écrit donc un premier livre illustré : Esprits juridiques, Mythes et symboles du monde juridique (Legal Spirits, en traduction anglaise) – tous deux disponibles en PDF sur son site ou en version papier au Musée des Beaux-Arts de Montréal. En poursuivant son exploration de cet univers, elle décide de s’inscrire « dans la lignée des peintres historiens en documentant les procès judiciaires ». Alternant entre travail artistique et recherche, elle peint des causes qui lui tiennent à cœur – l’affaire Dreyfus en France et le procès des nazis à Nuremberg – presque toute sa famille du côté paternel ayant été décimée par l’Holocauste, mais aussi des procès avec un « avant » et un « après » : « avant Bobigny, l’avortement était un crime, après la loi a été modifiée pour le décriminaliser en partie; avant le procès de la Cour suprême sur le mariage entre personnes du même genre, de telles unions étaient impensables, après elles étaient autorisées au Canada… Et c’est après avoir peint une dizaine de procès que j’ai compris que j’étais en train de peindre une histoire des droits de la personne. »
Passer des toiles au livre lui apparaît dès lors comme une nécessité afin d’apporter un contrepoids aux procès très médiatisés au Québec et aux États-Unis. Elle veut « montrer que la justice, c’est bien plus que la somme des scandales, des erreurs judiciaires et des abus de droit. Les procès présentés (dans le livre) nous rapprochent du système judiciaire. Ils l’humanisent en mettant en scène des individus bien réels qui, en se rendant devant les tribunaux pour faire valoir leurs droits, se sont retrouvés à porter un message plus grand qu’eux, qui a modifié notre perception collective de ce qui est juste. Le système est humain, il est donc imparfait. Mais la règle de droit est le dernier rempart contre les abus des dirigeants. Les tribunaux sont les ultimes protecteurs de nos libertés. On l’a vu avec les dernières élections américaines : c’est devant les cours de justice que les mensonges ont vraiment été démasqués. »
Bref, un livre passionnant pour alimenter les discussions entre parents et ados autour de la table.
Linda Amyot est rédactrice, scénariste, recherchiste et écrivaine. Elle anime également des ateliers d’écriture. Depuis 2004, elle a publié trois romans, un recueil de nouvelles et deux romans jeunesse chez Leméac, de même que deux albums illustrés pour les enfants aux éditions du Soleil de Minuit. Son roman La fille d’en face a remporté le Prix TD de littérature pour l’enfance et la jeunesse et le Prix des libraires en 2011; son roman Le jardin d’Amsterdam a reçu le Prix du livre jeunesse des Bibliothèques de Montréal et le Prix du Gouverneur Général 2014.
