
Un tilleul en hiver
Marie Hélène Poitras
J’habite dans Rosemont, à 10 minutes à pieds du Jardin botanique et du Parc Maisonneuve. Jusqu’ici j’avais eu un rapport essentiellement touristique avec mes voisins verts. La serre de papillons en avril, les lanternes chinoises en octobre… « Féériques et enchanteurs » comme le dit la brochure, mais partagés à chaque visite avec de nombreux visiteurs agglutinés. Je n’avais pas développé de rapport intime avec ces espaces que j’avais eu l’occasion de fréquenter, mais pas véritablement d’habiter.

L’automne dernier, mon chum, notre fille et moi avons eu l’idée de nous offrir des skis de fond. Nous nous sommes rendus dans un endroit qui semble figé dans le temps : la Poubelle du ski. Mêmes gars cools, même bordel organisé, même look de grande cabane en bois que lors de ma dernière visite il y a un quart de siècle. On a choisi des skis à écailles pour que ce soit simple et rapide. On voulait n’avoir aucun prétexte pour se défiler lorsque le moment serait venu.
Petit dimanche matin de janvier. Une neige folle et fraîche recouvre les rues du quartier. On enfile tuques, mitaines, pantalons d’hiver et nouveaux skis. Nous découvrons d’abord le plaisir inédit de skier dans les ruelles de Rosemont! À ajouter à la liste des choses qui plaquent inévitablement un sourire au visage, surtout quand on est les premiers à tracer un sillon dans la neige fraîche.
Une voisine nous a donné un bon filon : sur Pie-IX, défigurée par les travaux qui n’en finissent plus, à la hauteur de Masson, il y a une ouverture dans le grillage. On peut s’y glisser et ainsi arriver directement dans le Jardin botanique.
Sésame s’ouvre sur un grand espace ouaté aux angles arrondis, et les arbres, nombreux et cotonneux.

On pénètre dans le paysage enneigé, un mouvement à la fois, en glissant sur la piste. À mesure que l’on s’y engouffre, les bruits de la ville s’estompent. L’air est bon. Je ne reconnais pas le Jardin botanique ni ma ville, sauf quand je lève les yeux et aperçois le mât du Stade olympique qui surplombe nos têtes et nos tuques. Nous croisons des ruches d’abeilles en dormance dans un petit espace enclavé, diverses essences de bois, regroupées en famille d’arbres. J’admire la majesté d’un tilleul en hiver. Musique d’oiseaux et de skis qui glissent.
On acquiert plus d’aisance; l’ovale elliptique de nos mouvements se précise. Le Jardin nous veut et nous fait même cadeau d’un petit château de paille tressée. Nous devenons les rois et reines du Jardin. Nous skions à l’intérieur du château! Est-ce un rêve? Non, car je croise un collègue. Il a des skis aux pieds et des écouteurs dans les oreilles.
- Qu’est-ce que t’écoutes?
- Du métal.
En rentrant, nous skions sur le trottoir de la rue Masson, carrément. On passe devant une petite boutique de produits polonais. La promenade au Jardin, la découverte d’un nouveau territoire et de tout cet espace qui est nôtre nous a ouvert l’appétit.
Clic, clic, on enlève ses skis et on va acheter des perogies, de la salade de betteraves et de la crème sûre. Clic, clic, on les remet et on s’en va dévorer tout ça.
