
Le thème de l’amour en littérature autochtone
Florence Fontaine
En littérature autochtone, il est souvent question du passé, des préjudices subis, notamment pendant la période où plusieurs enfants autochtones furent enlevés à leurs familles et envoyés dans des pensionnats, au motif de les éduquer. L’épisode, survenu au siècle dernier, a laissé une profonde cicatrice dans la mémoire et le corps des autochtones. Il est aussi beaucoup question du lien particulier que les différentes nations autochtones entretiennent avec leur territoire. Il est également question de culture, d’histoires, de coutumes et de traditions, car la littérature est une manière pour les autochtones de se réapproprier leurs histoires, leurs cultures, et de les transmettre aux générations suivantes. Cependant, en littérature autochtone, il est peu question d’amour, de sexualité, de la femme et de son corps autrement que sous une forme meurtrie pour le second, de victime pour la première. Mais les choses sont en train de changer, puisque de jeunes auteurs et de jeunes autrices comme d’autres, chevronnés, s’attaquent à ces sujets de manières tout à fait décomplexée.
L’amour de soi, des autres, du territoire, de sa communauté
Dans ses livres, Naomi Fontaine reprend les clichés les plus fréquents sur les autochtones, notamment les Innus, pour mieux les démonter un à un, en douceur, et donner une autre vision des Innus, leur rendre leur humanité, montrant ainsi que les autochtones ne sont pas que des statistiques. Elle s’attache aussi à montrer l’amour qui règne dans les communautés innues, notamment, dans sa communauté de Uashat. Que ce soit dans Kuessipan, Manikanetish ou dans Shuni, l’amour d’une mère pour son fils est présent, de même que l’amour de l’autrice pour sa communauté et pour le territoire. Pour autant, Naomi Fontaine n’enjolive pas la réalité; elle la décrit tel quelle la perçoit. Elle n’hésite pas à se montrer critique, même si c’est toujours avec tendresse, car, tout compte fait, elle est fière d’être Innue et d’appartenir à sa communauté, tout en reconnaissant que rien n’y est parfait.
Le roman érotique autochtone
Au Québec, le roman érotique autochtone est encore très jeune. La première à s’être intéressée à ce sujet est l’autrice crie et québécoise Virginia Pésémapéo Bordeleau, avec L’amant du lac publié en 2013. Le roman raconte l’histoire d’amour torride entre Wabougouni, Algonquine, et Gabriel, Métis, et qui a pour cadre le lac Abitibi. À travers cette histoire, Virginia Pésémapéo Bordeleau veut célébrer les corps et donner la pleine mesure de leur humanité. Elle explore les notions d’amour, de désir, d’intimité, et de relations entre les personnes et tout autant avec le territoire. Pour mieux montrer la beauté des choses et des corps, l’autrice n’hésite pas à montrer la violence trop souvent faites aux autochtones. Cependant, ce roman érotique ne cède pas à la vulgarité. Tout au contraire, L’amant du lac est un livre digne, car il fait échec aux idéologies du ressentiment chez les Premières Nations. Dans le roman de Virginia Pésémapéo Bordeleau, les personnages autochtones ne sont pas que souffrances et victimes; ils sont des êtres entiers, pleins de désir, en pleine possession de leur corps et de leur avenir. L’autrice décrit son roman comme un « roman d’amour entre une Algonquine et un Métis, mais aussi d’amours de toutes sortes, enchevêtrées dans l’histoire des Premiers Peuples. Une histoire où règnent violence et colère. Et surtout, une histoire du plaisir des corps dans un monde qui n’a pas encore connu les pensionnats pour autochtones et les abus multiples des religieux sur les enfants. »
Virginia Pésémapéo Bordeleau, L’amant du lac, Mémoire d’encrier, 2013
L’amour décolonial
« Le genre d’amour qui m’intéresse, celui que mes personnages recherchent intuitivement, est le genre d’amour capable de les libérer du legs épouvantable de la violence coloniale. Je pense ici à l’amour décolonial. Est-ce possible d’aimer cette partie de nous-mêmes qui a été brisée par le pouvoir colonial quand on la retrouve chez quelqu’un d’autre ? »
Junot Diaz, Boston Globe
Le livre de Leanne Betasamosake Simpson, Cartographie de l’amour décolonial, est rempli de récits qui mettent en avant le genre d’amour évoqué par Junot Diaz, amour «décolonial» qui permet de se retrouver, de s’aimer et d’accepter d’être aimé.
Ses traductrices Natasha Kanapé Fontaine et Arianne des Rochers commentent ainsi le livre: « Dans cette mer coloniale qu’est le Canada, l’auteure trouve refuge sur des îles, où l’amour et l’intimité ne sont pas dictés par le pouvoir colonial. Elle trace ainsi un archipel de liens et de solidarités qui permettent de penser la vie et l’avenir à l’extérieure des structures opprimantes du colonialisme, du racisme et du sexisme. »
Leanne Betasamosake Simpson, Cartographie de l’amour décolonial, Mémoire d’encrier 2018 (traduit de l’anglais par Natasha Kanapé Fontaine et Arianne des Rochers)