La nature : source et delta
J’ai grandi près d’un bois. Une toute petite forêt, la frange épargnée d’un terrain de golf où on pouvait apercevoir, l’été, des joueurs du Canadien en bermudas. Enfant, j’y passais le plus clair de mon temps. Je construisais des cabanes, je pataugeais dans le marécage, je me parlais toute seule.
Mon premier texte aux intentions poétiques était imprégné de ce boisé, tout comme à dix ans, j’étais moi-même infusée par cet écosystème marginal, par ses aspérités et couleurs brutes, sa grâce et ses odeurs fongiques. Déjà à cet âge, je sentais que ce monde non organisé recelait mille fois plus de sens que les paysages paysagés de ma banlieue natale, et je devinais de manière imprécise mais absolue l’existence un lien entre cette nature et la littérature.
Aujourd’hui encore, mon imaginaire, mon lexique, mon inspiration et mon réseau métaphorique reposent en grande partie sur l’univers naturel. Je ne saurais expliquer pourquoi. Peut-être ai-je lu trop de romans de Lucy Maud Montgomery à un âge influençable. Ou peut-être est-ce le boisé qui, à une étape critique de mon développement, a structuré mon esthétique de manière indélébile, conditionné ce qui, consciemment ou non, constitue pour moi la voie vers l’écriture. Une façon de lire le monde à travers sa manifestation la plus spontanée.
Curieusement, j’écris rarement en nature. C’est peut-être dû à mon mode de vie citadin, et au fait que, lorsque je vais en campagne, c’est précisément pour ne pas travailler. Mais je crois qu’il y a autre chose derrière cet apparent paradoxe. Cette distance, ce désir d’un espace auquel je n’ai pas accès, est peut-être justement un moteur de création.
Si je n’y vais pas pour écrire, j’ai cependant eu en forêt certaines de mes idées les plus importantes. (Quiconque cherche à comprendre ce qu’est un écrivain devrait assister à une scène où, au milieu des Chic-Chocs, une romancière arrache à ses compagnons le papier destiné à allumer le feu de camp pour noter frénétiquement l’histoire qui vient de surgir dans sa tête.) La nature agit donc à la fois en amont et en aval, à la source et au delta ; présente à la naissance du livre, elle se manifeste dans chaque image, dans chaque figure de style.
C’est évidemment elle qui tient le haut du pavé dans mon dernier roman, L’avenir, qui porte dans son ADN l’idée du resurgissement de la nature dans une ville dépeuplée. La faune et la flore y sont presque des personnages à part entière, douées d’une volonté imparable. Cette beauté échevelée juxtaposée au béton, le côtoiement de la domestication et de l’anarchie ont été, plus encore que la trajectoire des personnages, le fil qui m’a guidée à travers ce livre.
Je jongle maintenant avec l’idée d’un roman urbain. Et, comme tous les auteurs, je rêve d’une petite maison dans le bois d’où je pourrais travailler. Je suis très curieuse de découvrir si, en écrivant sur la ville à partir de la campagne, l’équation tiendrait toujours, si l’inversion des pôles produirait ce même désir, cet élan vers l’autre monde.

Catherine Leroux est née en 1979. Après avoir exercé divers métiers, dont celui de journaliste, elle a publié en 2011 son premier roman, La marche en forêt, finaliste au Prix des libraires du Québec. Le mur mitoyen, paru deux ans plus tard, a été couronné du prix France-Québec, et sa version anglaise a été en lice pour le prix Scotiabank Giller. Publié en 2015, Madame Victoria a remporté le prix Adrienne-Choquette. Elle a par ailleurs signé plusieurs traductions, dont celle de Nous qui n’étions rien de Madeleine Thien, pour laquelle elle a reçu un Prix littéraire du Gouverneur général. Depuis janvier 2020, elle est aussi éditrice chez Alto.