Pourquoi m’enfermez-vous ?
Quand on lit Katerine Caron, chaque instant nous ancre dans la réalité labyrinthique de la vie et de la mort, nous fait vaciller entre le réel et l’imaginaire. Dans Pourquoi m’enfermez-vous ?, roman exofictionnel de Katerine Caron, Pénélope réapprend à vivre après avoir été fauchée par une voiture. Ayant subi un traumatisme crânien cérébral, elle est enfermée dans un hôpital où elle imagine une histoire d’amour entre les neurones de son cerveau. Cerveau abîmé qui erre de façon implacable dans les méandres de sa mémoire. Errance psychique Ulyssienne. Pénélope, image miroir d’Ulysse.
L’écriture de ce roman se vit dans l’instant. Le traumatisme provoque l’ouverture d’une exploration des points de vue, des rythmes. Des variations au niveau de sa conscience qui s’exprime par une variation de la syntaxe, de la ponctuation. La narratrice passe de « je » à « tu » ou « elle » lorsqu’elle parle d’elle-même, faisant écho à Beckett ou à Duras. Au début, dans un état comateux, nous sommes confrontés à des blocs de conscience. Puis la prose poétique, où chaque mot est ciselé, où chaque phrase constitue une trame sonore, prend le dessus.
Pénélope a le regard d’un enfant sur le monde en revenant peu à peu à la vie. Elle renouvelle son regard sur sa propre enfance. Elle converse avec plusieurs patients. Le corps médical essaie de la ramener à la réalité qui, pour elle, demeure nébuleuse. Même si son fils Nicolas, témoin de l’accident, tente de tisser les fils de sa mémoire. Confinée à l’hôpital, Pénélope vit un élargissement du niveau de sa conscience. Une immensité dans un huis clos. Elle a un rapport intime avec la nature. Elle se questionne sur sa foi, sa relation avec Dieu, avec le diable : À midi, devant le soleil brûlant, surgit une nouvelle réalité: mon assèchement devant Dieu. Mon errance est-elle spirituelle? La lumière du soleil n’est pas la lumière de Dieu mais une lumière mortelle. Amen. Elle, qui a frôlé la mort, dont le cerveau a été malmené, fait preuve d’une étonnante résilience. Elle reconstruit ses souvenirs, souvent avec humour, et nous rappelle que la vie est fragile.
Que ceux qui ne connaissent que la santé peuvent être vite rappelés à l’ordre.
Qu’il faut remercier la vie chaque matin.
Qu’il accepter la différence, comprendre l’autre pour ce qu’il est.
Qu’il faut apprendre à faire face à l’adversité.
Qu’il faut élargir sa conscience.
Qu’il faut exprimer sa gratitude à tout vent.
Qu’il ne faut jamais cesser de s’émerveiller.
Que l’essentiel est de respirer.
– Annie Heminway

Katerine Caron est romancière et poète. Elle a publié un roman aux Éditions du Boréal, Vous devez être heureuse, qui lui a valu d’être finaliste au Prix littéraire du Gouverneur général et au prix Anne-Hébert. Elle a publié deux recueils de poésie aux Éditions du Noroît : Cette heure n’est pas seule et Encore vivante. Elle a aussi rédigé un mémoire de maîtrise sur la lumière dans la poésie de Saint-Denys Garneau.