
Le calme avant la tempête sur la mer Caspienne
Annie Heminway
Ma part d’elle est le monologue d’un homme qui se souvient de sa jeunesse à Chamkhaled, une petite station balnéaire du nord de l’Iran au début des années 1970. C’est la naissance du concept des vacances dans un Iran laïque, ouvert sur le monde, où on laissait aux femmes la possibilité de s’habiller à leur gré. Les garçons de Chamkhaled s’ennuient. Ils attendent les vacancières qui viennent de Téhéran et d’autres grandes villes. Ils attendent tous la belle Niloufar, la cousine du narrateur. Niloufar, nénuphar, nymphéa, nymphe aux cheveux de méduse noire, pêcheuse de corail rouge, qui plonge en apnée dans la mer Caspienne. Les adolescents qui flirtent sur la plage, qui fument des joints et boivent de l’arak, sont loin d’imaginer que leur pays sera bientôt en guerre contre l’Irak et qu’une révolution islamique chamboulera leur vie. Quelque chose se tramait à notre insu. Comme une graine de volcan grandissant en silence dans les profondeurs marines. Un Léviathan lové dans les cavités obscures de notre pays. Nous étions assis sur une cassure tectonique, une immense faille qui allait s’ouvrir. […] Qui aurait pu imaginer en effet que notre temps était fini ? Qu’il n’y aurait plus d’été ? Qu’on allait nous enlever la mer pour la murer, la couper en deux ? Le narrateur raconte l’insouciance de la jeunesse et son amour inconditionnel pour Niloufar, son amour blessé. Tout en racontant ce dernier été, il compte les morts. Une génération décimée. Victime de la guerre Irak-Iran. Exécutée pour son allégeance politique. Morte-vivante, car elle aura renoncé à son destin. Dans Ma part d’elle, le narrateur passe à l’aveu. Manipulateur, calculateur, il survit : J’étais le plus apte à survivre, car je savais me nourrir de la chair des autres. Une trahison de jeunesse, un été sur la mer Caspienne, aura des conséquences dramatiques pour un groupe d’amis, car leur vie sera bouleversée par la Révolution de 1979. Ils emprunteront des chemins différents dans un monde où la politique, la religion, et la culture seront à jamais remises en question.
Ce roman, ponctué de personnages attachants, d’anecdotes et de souvenirs nostalgiques, nous fait traverser vingt ans d’histoire. Dans un style à la fois onirique, poétique, et tragique, Javad Djavahery, conteur sans pareil, nous offre une réflexion sur l’innocence de la jeunesse, mais aussi sur le mal, sur la trahison, sur la nature humaine dans ses plus sombres aspects.
Ma part d’elle, (My Part of Her) traduit par Emma Ramadan, a été publié en février 2020.
L’auteur
Romancier et nouvelliste iranien vivant à Paris, Javad Djavahery a dû quitter l’Iran et s’installer en France à l’âge de 20 ans. Pendant plusieurs années, il a vécu dans la peau d’un réfugié politique, dans l’attente d’un retour au pays. Il dit que durant ces années il n’a voulu rien posséder qui ne puisse tenir dans une valise. À la question « d’où viens-tu », il répond qu’il est né une fois en Iran, puis une deuxième fois à l’âge de 20 ans à Rennes, sa ville d’adoption. Il n’est plus retourné en Iran depuis, « grâce à quoi je peux préserver dans ma mémoire les images d’un pays qui n’existe plus ». Oscillant entre littérature et cinéma, il a produit plusieurs films et a collaboré à l’écriture de plusieurs scénarios dont Red Rose (réalisé par Sepideh Farsi). Écrivain bilingue, il a à son actif deux recueils de nouvelles en persan. Son premier roman Soupir de l’Ange a été publié aux Éditions de l’Aube. Son second roman Ma part d’elle vient de paraître aux éditions Gallimard.